vendredi 21 février 2014

La romancière, l'archéologue et le chat - interlude

Comme noté précédemment, pour les besoins documentaires de ma novella La momie aux os d'argent et par curiosité, j'ai lu La romancière et l'archéologue d'Agatha Christie*.
En cours de lecture, je suis tombée sur ce passage désopilant, à propos d'un chat particulièrement professionnel et sévère. Alors comme ma rédaction de la novella et de la nouvelle Ahmès, née de la Lune, et des billets documentaires promis sur la Mare se font attendre, je vous offre en interlude cette rencontre avec M. le Chat.

Notre chat fait son apparition après le dîner. Je ne l'oublierai jamais. Hamoudi a raison, il est très professionnel. Il sait pourquoi il a été engagé et se met au travail avec toute l'adresse d'un spécialiste. Pendant que nous dînons, il se tient en embuscade derrière une valise. À chaque fois que nous parlons, bougeons ou faisons un peu trop de bruit, il nous lance un regard impatient.
«Je vous demande impérativement d'être calmes, pouvons-nous lire dans ses yeux. Comment puis-je travailler sans votre coopération ?»
Il a l'air furieux, et nous obéissons immédiatement. Nous nous mettons à murmurer et à manger en évitant le plus possible de faire tinter nos verres contre nos assiettes.
Par cinq fois au cours du repas, une souris surgit de son trou et se met à courir à travers la pièce, et par cinq fois notre chat bondit. La sanction est immédiate. il ne folâtre pas à l'occidentale, ne joue pas avec sa victime. Il se contente de lui arracher la tête, puis il la croque avant d'avaler le reste du corps. C'est plutôt horrible à voir, d'une précision toute chirurgicale.
Le chat nous tient compagnie pendant cinq jours. Passé ce délai, plus une souris à l'horizon. Puis le chat nous quitte mais les souris restent invisibles. Je n'ai jamais connu, avant ou depuis, un chat aussi compétent. Nous ne l'intéressions nullement, il n'a jamais demandé de lait ni à partager notre nourriture. Il était froid, scientifique et impersonnel. Un chat très accompli !

(Il va sans dire qu'Ahmès est une chatte plus chaleureuse, bien que tout aussi efficace lorsqu'il s'agit de protéger son humaine, Andrée Tenda, ou d'exécuter les instructions des dieux et déesses.)

* CHRISTIE Agatha, La romancière et l'archéologue : mes aventures au Moyen-Orient (1930-1939), 1946, Paris, éd. Payot & Rivages, 2006.

vendredi 14 février 2014

La vie pendant la Saint-Valentin

Je ne vous parlerai pas vraiment de la Saint-Valentin. Parce qu'honnêtement, je n'en ai personnellement pas grand-chose à carrer. Les fêtes commerciales ne me dérangent pas et la vie de couple exclusif, ce n'est pas ma tasse de thé, donc bon...

Pourtant, en ce vendredi de Saint-Valentin, c'est bien d'une histoire de couple qu'il s'agit ; à la fois exceptionnelle dans ses détails et ordinaire dans sa conclusion.

Si vous ne vivez pas dans une grotte, et que vous avez un minimum la fibre féministe, vous avez forcément lu des articles sur le procès qui s'est tenu en début de semaine à la Cour d'assises des Bouches-du-Rhône.
Le 12 février 2014, cette dernière a rendu son jugement, et il est insatisfaisant, écœurant et malheureusement représentatif.

Dans un communiqué publié en cette Saint-Valentin, intitulé R. Schembri : 10 années de réclusion théoriques pour 32 ans de tortures réelles, l'AVFT (Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail) nous détaille succinctement le déroulement du procès, et analyse brièvement le verdict (une analyse plus poussée est annoncée dans les notes de fin de page).

Piquouse de rappel :
Colette, 70 ans aujourd'hui, ex-épouse de René Schembri, échappe à ce dernier en 2002, en prenant la fuite, après 32 années de tortures et de violences conjugales.
S'ensuivent 12 ans de procédures judiciaires : divorce, plainte pour tortures et actes de barbarie ayant entraîné des infirmités et des mutilations permanentes, demande d'indemnisation des frais judiciaires et des préjudices subis, etc.
L'AVFT a soutenu Colette pendant les deux ans qu'a duré la préparation du procès aux Assises. Le courage de Colette et de sa fille aînée, ainsi que la qualité du travail de l'AVFT, méritent amplement d'être soulignés et admirés.
Comme la liste des motifs d'accusation est particulièrement insoutenable, je vous renvoie aux articles de l'AVFT et à leur lettre à l'intention de la Garde des Sceaux Mme Taubira, et me contente de les résumer ainsi : violences physiques, viols, mutilations, coups ayant entraîné la perte de fonctions et de parties anatomiques.

Les enjeux (et là encore, je reprends les analyses de l'AVFT) :
  • La responsabilité des tiers (témoins, famille, etc.) et notamment du corps médical, qui a soigné Colette pendant des années sans jamais s'étonner de ses explications invraisemblables.
  • La reconnaissance des viols : que la Cours d'Assises n'a pas satisfaite. Les viols ont été requalifiés en violences volontaires et en "relations sexuelles imposées". Ce qui a eu pour conséquences : 1° de nier la réalité des viols en tant que crimes distincts, et 2° d'éviter à M.Schembri la prison à perpétuité.
  • Les critères de prescription des crimes et délits : 29 ans de violences, viols et tortures ont échappé à l'accusation au prétexte qu'ils étaient prescrits. Or, comme le souligne l'AVFT : «L'un des fondements de l'opposition à l'imprescriptibilité des crimes est le dépérissement des preuves dans le temps. Or cette procédure démontre que cet argument n'est pas recevable. La preuve des tortures endurées par Colette est en effet inscrite sur son corps.»

Verdict :
10 ans de réclusion criminelle. Mais "théorique", pour reprendre l'expression de l'AVFT. Pourquoi ?
Parce que M.Schembri a déjà fait 4 ans de détention préventive. Il a aussi droit à des remises de peine automatiques (d'autant qu'il avait un casier judiciaire vierge auparavant).
Après 32 ans de violences et de crimes, M.Schembri a le droit de demander sa libération conditionnelle dans 2 ans.

Alors si comme moi, cette condamnation vous fait vomir par sa légèreté, si le combat de Colette et sa fille aînée vous émeut, si la négation et la disqualification des violences envers les femmes vous rendent dingue : parlez-en.
Soutenez l'AVFT.
Transférez, faites suivre, publiez sur votre blog, votre page Facebook, Twitter, que sais-je encore, les communiqués de l'AVFT et le compte-rendu du jugement.

Et surtout, surtout, ne pratiquez par l'indulgence envers les agressions sexuelles, même les plus minimes.
Rappelez-vous : la loi n'est pas de notre côté, ou si rarement.
L'impunité des agresseurs est encore chose courante.
La disqualification des violences, la légèreté des peines, sont choses communes.

Aujourd'hui c'est la Saint-Valentin. Mais j'ai juste envie de pleurer. Et ça n'a rien à voir avec l'amour.

jeudi 6 février 2014

Notes de lecture : Bilan de janvier

Petit bilan mensuel, qui ne comprend pas les lectures faites à titre de documentation (voir les "dossiers documentaires"). Comme souvent : peu de coups de cœur, quelques abandons, une ou deux déceptions.
Et comme je me suis inscrite sur Babelio.com afin de ne plus perdre le fil de mes lectures et de partager ma bibliothèque avec mes ami·e·s (pour le moment il n'y a que fanifanette, mais je ne désespère pas d'y trouver d'autres grenouilles et autres potes), je vous mets les liens vers les fiches de l'interface.

Romans

  • BRITE Poppy Z., Le corps exquis, trad. fr., J'ai Lu, 2005. [Fiche Babelio]
    Il fait partie des abandons à regret : je l'avais emprunté en bibliothèque, et après l'avoir prolongé une fois, j'ai réalisé que je n'arriverai pas à le lire tranquillement. Ce n'est pas un enchevêtrement d'histoires très joyeuses, et c'est suffisamment (très) bien écrit pour que je ne lui fasse pas l'affront de le lire en diagonale. Il est sur ma pile des "à reprendre", et "à chroniquer".
  • CHRISTIE Agatha, La romancière et l'archéologue : mes aventures au Moyen-Orient (1930-1939), 1946, Paris, Payot & Rivages, 2006. [Fiche Babelio]
    Je n'ai jamais été une fan des romans policiers d'Agatha Christie. Hercule Poirot et Miss Marple, très peu pour moi (tout mon amour va à Sherlock Holmes).
    Mais ce roman n'en est pas un : c'est une autobiographie littéraire (romancée un chouïa, si vous préférez) des fouilles menées en Syrie par Agatha Christie et son jeune second mari, archéologue de profession. C'est délicieusement ironique et ça donne un aperçu très vivant de la chasse aux antiquités au début du XXe siècle.
  • YOUNG Sandra, La rue sans nom, trad. fr., Syros, 1982. (chronique en cours) [Fiche Babelio]
    Ce roman est une relecture, la quatrième si je ne me trompe pas. Le livre est aujourd'hui quasiment introuvable, et c'est fort dommage. Je suis tombée dessus par hasard dans la bibliothèque municipale de mon adolescence, il y a quoi... entre douze et quinze ans, et ça a été un choc.
    Racisme, violences sexuelles, avortement sauvage... c'est le genre de livre dont on ressort moins bête et qui vous file un curieux mélange de tristesse et de rage au ventre. J'en dirai plus dans une chronique, comptez là-dessus.

Séries

  • HAMILTON Laurell K., Anita Blake, tome 16 : Sang noir, trad. fr., éd. Milady, 2013. [Fiche Babelio]
    Parce que oui, je ne désespère pas d'un jour retrouver la qualité des six premiers tomes. Et vu l'évolution des tomes 15 et 16, je m'obstine. On quitte peu à peu le terrain de la luxure excessivement détaillée pour celui - bien plus intéressant - du combat métaphysique entre Anita et Marmée Noire, et le conflit des souches métamorphes chez Anita.
  • VAUGHAN Elizabeth, L'épopée de Xylara, Tome 1 : Captive, trad. fr., J'ai Lu, 2008. [Fiche Babelio]
    Emprunté par défaut (je voulais les Kitty Norville, mais hélas, je suis loin d'être la seule...), je le dis d'emblée : c'était sympa, mais je ne lirai pas la suite. Le malentendu culturel sur lequel se développe la relation entre Xylara et Beau Mâle est assez bien trouvé et exploité, l'immersion d'une étrangère dans une société quasiment à l'opposé de la sienne en contexte de guerre est elle aussi assez bien décrite.
    Mais la fantasy, c'est pas tellement ma tasse de thé, même si je ne rechigne pas à en lire régulièrement. Ensuite, les héroïnes qui s'épanouissent dans les bras de beaux mâles musclés et bien montés, ça commence à me fatiguer. Et le féminisme à gros sabots, encore plus.


Mangas

  • MIZUNO Junko, Hansel et Gretel, trad. fr., IMHO, 2005. (chronique en cours) [Fiche Babelio]
    Ce manga est l'un de mes rares coups de coeur de janvier. Sans surprise, d'ailleurs. Il rejoint ma collection de réécriture de contes par Junko Mizuno, mangaka et artiste déjantée, dont le style kawaï gore perturbe de manière jouissive les histoires délavées par Walt Disney.
    Une chronique des trois mangas en cours pour LLM, donc ce n'est pas mon dernier mot...

Nouvelles

  • Collectif Hydrae, Cascade de mots : le Petit Peuple, parution le 31 octobre 2013. [En ligne] (chronique en cours)

Revues / Webzines / Fanzines

  • Bifrost, n°67 et n°70.

lundi 3 février 2014

Notes de musique – Schubert Fantaisie en fa mineur

Samedi, au gré de ma tournée hebdomadaire des bibliothèques municipales parisiennes, je suis tombée sur un enregistrement dont j'ignorais totalement l'existence : un concert donné en 1965 par Sviatoslav Richter et Benjamin Britten, au Jubilee Hall d'Aldeburgh, durant lequel ils ont interprété, entre autres, la Fantaisie en fa mineur pour piano à quatre mains de Franz Schubert (Op.940, 1828).
Or, il se trouve que la Fantaisie en fa mineur est mon morceau de musique préféré, toutes catégories confondues et battues à plate couture.
Et il se trouve que j'éprouve une passion admirative pour Richter et Britten depuis le lycée : depuis que j'ai vu le film consacré à Richter par Bruno Monsaingeon, et depuis que j'ai joué une sonate et des variations pour hautbois de Britten.

Moment d'incrédulité bafouillante et de joie intense. J'emprunte illico presto le CD, et j'attends patiemment que mes voisins la bouclent. Ce qu'ils se sont décidés à faire cet après-midi. Je me suis alors plongée dans cet enregistrement, essayant de n'en rien attendre, afin de ne pas gâcher mon plaisir.

Je dois préciser que mes oreilles sont accoutumées (le mot est faible) à l'interprétation du morceau par les pianistes chevronnés Noël Lee et Christian Ivaldi (Œuvres pour piano à quatre mains vol.1, Arion, 1977). Je me doutais donc que l'écoute serait parasitée par un sentiment d'étrangeté, voire d'«inexactitude».


Première réflexion aux premières notes : zut, c'est un enregistrement de concert. En bonne groupie des théories gouldiennes (il faudra qu'un jour je vous en parle, de ce chéri-là), j'ai tendance à regretter les enregistrements "live", parsemés de toux, raclements de gorge, éternuements, applaudissements impromptus, etc. Et de fautes.
Car loin des interprétations et des enregistrements calibrés au poil d'aujourd'hui, où pas une note ne dépasse de sa portée ni du doigté ou du souffle de l'interprète, celle du concert de Richter et Britten est truffée de doigts qui dérapent, de notes qui se chevauchent quand elles devraient se suivre, et parfois même, de petits décalages de tempo entre les deux pianistes.

Seconde réflexion : qu'est-ce que c'est différent de l'interprétation par Lee et Ivaldi ! J'ai quasiment l'impression de ne pas reconnaître le morceau.
Les tempos ne sont pas suivis de la même manière, la nuance et l'intensité des notes diffèrent souvent radicalement.

Une vingtaine de minutes plus tard, je dois bien admettre que 1° c'est une double interprétation diablement rafraîchissante et intéressante, mais 2° il va me falloir plusieurs écoutes pour m'y habituer.
Elle est sans le moindre doute plus «vivante» que celle de Lee et Ivaldi : moins d'homogénéité de jeu entre les quatre mouvements, et à l'intérieur même de chacun ; la première partie est plus enlevée ; l'atmosphère générale de la Fantaisie est bien moins sombre que celle rendue par Lee & Ivaldi.
On ressent très clairement la complicité entre les deux hommes, entre le pianiste russe et le compositeur britannique. Il y a ce petit rien de cabotinage (si je peux me permettre) dans le jeu qui rappelle immanquablement les fins de soirées un peu arrosée, où l'on se met seul·e ou à plusieurs au piano, et où l'on s'accorde, presque littéralement, sur une partition réelle ou improvisée.
L'ensemble est, bien sûr, brillant.

Si vous souhaitez découvrir le duo Richter-Britten, vous pouvez écoutez le CD sur le site internet de l'éditeur.


ÉDIT : France Musique a consacré le 15 janvier dernier une émission, «Le matin des musiciens», à cette Fantaisie en fa mineur. (Leur interprétation est assez similaire à celle de Lee et Ivaldi.)